Décret sur les vertus héroïques du Serviteur de Dieu Josémaria Escriva de Balaguer

Le 9 avril 1990, le pape Jean-Paul II a autorisé la Congrégation pour les Causes des Saints à promulguer le décret sur les vertus héroïques du fondateur de l'Opus Dei, Josémaría Escrivá de Balaguer (1902-1975). Nous proposons ici une traduction de l'original latin, à partir de la version espagnole publiée en 2009 par Flavio Capucci dans Josémaría Escrivá, santo (Josémaría Escrivá, saint) (aux éditions RIALP, Madrid 2009).

Décret de vertus héroïques sur le Serviteur de Dieu Josemaría Escrivá de Balaguer. Traduction au français à partir de l’original latin, publié en 2009

Décret sur les vertus héroïques

Rome, le 9 avril 1990

« Tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur condition et leur état de vie, sont appelés par Dieu, chacun dans sa route, à une sainteté dont la perfection est celle même du Père » (Concile œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, no 11). Dans la proclamation de la vocation à la sainteté de tous les baptisés – aspect qui a été reconnu comme « l'élément le plus caractéristique de tout le Magistère conciliaire et, pour ainsi dire, son but ultime » (Paul VI, Motu proprio Sanctitas clarior, 19-III-1969) – resplendit la conscience que l'Église a d'elle-même en tant que mystère de la communion de l'homme avec Dieu. En contemplant ce mystère, l'Épouse du Christ voit aussi confirmé le patrimoine inépuisable qui constitue sa propre histoire, et elle entend l'écho du témoignage des hérauts de la sainteté que l'Esprit vivifiant suscite à chaque époque pour amener les hommes à adhérer au dessein du salut.

Le Serviteur de Dieu Josémaría Escrivá compte parmi ces témoins, non seulement en raison de la fécondité de l'exemple qu'il a donné par sa vie, mais aussi en raison de la force particulière avec laquelle, en coïncidence prophétique avec le Concile Vatican II, il a cherché, dès le début de son ministère, à adresser l'appel de l'Évangile à tous les chrétiens : « Tu as l’obligation de te sanctifier. Toi aussi. Qui pense que c’est une tâche exclusivement réservée aux prêtres et aux religieux ? Le Seigneur a dit à tous, sans exception : Soyez parfaits, comme mon Père Céleste est parfait » (Chemin, 291) ; « Ces crises mondiales sont des crises de saints » (ibid., 301).

Parmi les diverses voies de la sainteté chrétienne, celle suivie par le Serviteur de Dieu manifeste, avec une clarté particulière, toute la radicalité de la vocation baptismale. Grâce à sa perception vive du mystère du Verbe Incarné, Mgr Escrivá a compris que, dans le cœur de l'homme qui renaît dans le Christ, tout le tissu des réalités humaines se mêle à l'économie de la vie surnaturelle, et devient ainsi le lieu et le moyen de la sanctification. Véritable pionnier de l'unité intrinsèque de la vie chrétienne dès la fin des années 1920, le Serviteur de Dieu proposait la plénitude de la contemplation au milieu de la rue et appelait tous les fidèles à s'insérer dans le dynamisme apostolique de l'Église, chacun à partir de la place qu'il occupe dans le monde.

Ce message de sanctificationdes réalités terrestres et au milieu de celles-ci est providentiellement opportun dans la situation spirituelle de notre époque, si désireuse d'exalter les valeurs humaines, mais aussi si encline à céder à une vision immanentiste du monde séparé de Dieu. D'autre part, en invitant le chrétien à rechercher l'union avec Dieu par le travail – tâche pérenne et dignité de l'homme sur terre – cette actualité est destinée à perdurer au-delà des changements des époques et des situations historiques comme une source inépuisable de lumière spirituelle.

Regnare Christum volumus ! [Nous voulons que le Christ règne !] : tel était le programme de Mgr Escrivá. Placer le Christ au sommet de toutes les activités humaines : son service ecclésial a suscité, dans tous les milieux et toutes les professions, un élan d'élévation vers Dieu des personnes plongées dans les réalités temporelles, conformément à la promesse du Sauveur – Et ego, si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum [et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes] (Jn 12, 32 Vg) – dans laquelle le serviteur de Dieu voyait le noyau du phénomène pastoral de l'Opus Dei. C'est dans cette christianisation ab intra [de l'intérieur] du monde que réside la valeur de sa contribution à la promotion du laïcat.

Le Serviteur de Dieu est né à Barbastro (Espagne) le 9 janvier 1902, de parents pieux et honnêtes. Vers l'âge de quinze ans, il ressent les premiers pressentiments d'une vocation et, bien qu'il ne connaisse pas encore le contenu précis des plans de Dieu, il décide de devenir prêtre afin d'être entièrement disponible à la volonté de Dieu. Ordonné prêtre à Saragosse le 28 mars 1925, il s'installe à Madrid où, le 2 octobre 1928, il voit que le Seigneur lui demande de faire l'Opus Dei. Après avoir invoqué pendant des années la lumière du Ciel avec les paroles de l'aveugle de Jéricho – Domine, ut videam ! [Seigneur, que je retrouve la vue !](Lc 18, 41), ce jour-là, le serviteur de Dieu comprit pleinement la mission – « aussi ancienne que l'Évangile et aussi nouvelle que l'Évangile » – à laquelle il était destiné : ouvrir aux fidèles de toutes conditions sociales un chemin sûr de sanctification au milieu du monde, à travers l'exercice du travail professionnel et l'accomplissement des tâches quotidiennes, sans changer d'état et en faisant tout pour l'amour de Dieu. Peu après, le 14 février 1930, il comprit, avec la grâce de Dieu, que l'Opus Dei devait aussi développer son apostolat parmi les femmes. Et il consacra toutes ses énergies à la réalisation de cette mission, toujours encouragé par la bénédiction de l'évêque du lieu.

Dès le début, il exerce un apostolat très large dans les milieux sociaux les plus divers, en particulier en faveur des pauvres et des malades qui languissaient dans les faubourgs et les hôpitaux de Madrid. Pendant la guerre civile espagnole, il connait la fureur de la violence antireligieuse et donne chaque jour des preuves d'héroïsme, se prodiguant dans la prière, la pénitence et l'activité sacerdotale incessante. Il se voit très vite entouré d'une solide réputation de sainteté. Immédiatement après la guerre, invité par les évêques à prêcher des retraites au clergé, il contribue efficacement au renouveau de la vie religieuse dans le pays. De nombreux ordres et congrégations religieuses ont également recours à sa sollicitude pastorale. En même temps, le Seigneur permet que tombe sur les épaules de son Serviteur la Croix des incompréhensions, à laquelle Mgr Escrivá répond toujours par le pardon, allant jusqu’à considérer ses détracteurs comme de véritables bienfaiteurs.

La Croix multiplie les bénédictions célestes et l'apostolat du serviteur de Dieu se répand avec une rapidité surprenante. Le 14 février 1943, il fonde la Société sacerdotale de la Sainte-Croix, inséparablement unie à l'Opus Dei, qui, en plus de permettre l'ordination sacerdotale de membres laïcs de l'Opus Dei et leur incardination au service de l'Œuvre elle-même, permettra ensuite aux prêtres incardinés dans les diocèses de partager la spiritualité et l'ascèse de l'Opus Dei, en recherchant la sainteté dans l'exercice de leurs fonctions ministérielles et dans la dépendance exclusive de leurs Ordinaires respectifs. Le travail réalisé dans ce domaine par le Serviteur de Dieu, en personne ou à travers la Société Sacerdotale de la Sainte-Croix, fait de lui un exemple éclatant de zèle pour la formation sacerdotale.

En 1946, le serviteur de Dieu s'installe à Rome. En 1947 et 1950, il obtient l'approbation de l'Opus Dei comme institution de droit pontifical. Avec une charité infatigable et une espérance basée sur un travail assidu, il va guider l'expansion de l'Opus Dei dans le monde entier, conduisant à une large mobilisation de laïcs conscients de leur responsabilité dans la mission de l'Église. Il a donné vie à des initiatives d'avant-garde en matière d'évangélisation et de promotion humaine ; il a suscité partout des vocations au sacerdoce et à l'état religieux ; il a effectué des voyages épuisants à travers l'Europe et l'Amérique, en annonçant la doctrine de l'Église avec une foi vigoureuse. Et surtout, il s'est consacré à la formation des membres de l'Opus Dei – prêtres et laïcs, hommes et femmes – en les forgeant à une solide vie intérieure, à un zèle ardent qui se manifestait par un engagement personnel de mener à bien un apostolat capillaire, et à une adhésion exemplaire au Magistère de l'Église. Omnes cum Petro ad lesum per Mariam ! [Tous, avec Pierre, à Jésus par Marie !] : telle est l'aspiration que le Serviteur de Dieu prêcha et pratiqua sans relâche dès les premières années de son sacerdoce.

Cependant, les traits les plus caractéristiques de sa figure se trouvent non seulement dans ses dons extraordinaires d'homme d'action, mais aussi dans sa vie de prière et dans cette expérience unitive assidue qui a fait de lui un contemplatif itinérant. Fidèle au charisme qu'il avait reçu, il fut l'exemple d'un héroïsme qui se manifestait dans les situations les plus ordinaires : dans la prière continue, dans la mortification ininterrompue « comme les battements du cœur », dans la présence assidue de Dieu, capable d'atteindre les sommets de l'union avec le Seigneur même au milieu du vacarme du monde, et dans l'intensité d'un travail incessant. Constamment plongé dans la contemplation du mystère trinitaire, il a posé dans le sens de la filiation divine dans le Christ le fondement d'une spiritualité où la force de la foi et l'audace apostolique de la charité se conjuguent harmonieusement avec l'abandon filial en Dieu le Père.

Le Serviteur de Dieu, amoureux passionné de l'Eucharistie, vivait le Sacrifice de l'Autel comme « le centre et la racine de la vie chrétienne ». Il fut un apôtre infatigable du Sacrement de la Pénitence ; il fut aussi empreint d’une dévotion délicate envers Marie, « Mère de Dieu et notre Mère », envers saint Joseph et envers les Anges Gardiens. Il aimait l'Église de toute la force de son cœur sacerdotal et s'offrait en holocauste de réparation et de pénitence pour les péchés par lesquels les créatures défigurent son visage maternel. Bien que la prodigieuse fécondité de son apostolat fut visible aux yeux de tous, il ne se considérait que comme un « instrument inepte et sourd », un « fondateur sans fondement », « un pécheur qui aime Jésus-Christ à la folie ».

Le Serviteur de Dieu est décédé à Rome le 26 juin 1975. Au moment de sa mort, l'Opus Dei comptait plus de 60 000 membres de 80 nationalités ; les prêtres incardinés dans l'Œuvre étaient environ un millier ; les œuvres apostoliques – écoles, universités et centres sociaux, entre autres – s'étaient répandues sur les cinq continents. Les écrits du Serviteur de Dieu, publiés à des millions d'exemplaires, sont comparables aux classiques de la spiritualité.

La renommée de sainteté du Serviteur de Dieu, déjà amplement attestée de son vivant, s'est universellement répandue après sa mort, devenant dans de nombreux pays un véritable phénomène de piété populaire. La Cause de Canonisation a été introduite à Rome le 19 février 1981. Deux Procès d’égale importance (aeque principales) visant à établir la connaissance .de la vie et des vertus du Serviteur de Dieu ont été instruits, l'un à Madrid et l'autre à Rome, et se sont achevés respectivement le 26 juin 1984 et le 8 novembre 1986. Le Congrès Particulier des Consulteurs Théologiques, qui s'est tenu le 19 septembre 1989 sous la direction du Promoteur Général de la Foi, le Révérend Mgr Antonio Petti, a donné une réponse positive à la question portant sur l'exercice héroïque des vertus par le Serviteur de Dieu. La Congrégation Ordinaire des Cardinaux et des évêques s'est prononcée dans le même sens lors de sa session du 20 mars 1990, au cours de laquelle Son Éminence le cardinal Edouard Gagnon jouait le rôle de Rapporteur.

Le Souverain Pontife Jean-Paul II, après avoir reçu du Cardinal Préfet soussigné un compte-rendu diligent et fidèle de tout ce qui venait d'être exposé et avoir accepté les avis de la Congrégation, a ordonné la préparation du Décret sur les vertus héroïques du Serviteur de Dieu.

Cette disposition ayant été remplie, et le Cardinal Préfet, le Rapporteur de la Cause, le Secrétaire soussigné et d'autres, selon la coutume, ayant été convoqués ce jour, le Saint Père a déclaré en leur présence : Les preuves des vertus théologales de Foi, Espérance et Charité, tant envers Dieu qu'envers le prochain, ainsi que des vertus cardinales de Prudence, Justice, Tempérance et de Force, et des autres vertus annexes du Serviteur de Dieu Josémaria Escrivá de Balaguer, prêtre, fondateur de la Société Sacerdotale de la Sainte-Croix et de l'Opus Dei, existent au degré héroïque dans le cas et pour les effets en question.

Le Saint-Père a ordonné que ce décret soit rendu public et inclus dans les actes de la Congrégation pour les Causes des Saints.

Fait à Rome, le 9 avril 1990.

Angelo Card. Felici, Préfet

L. + S.

+Edward Nowak, archevêque titulaire de Luni, Secrétaire